La Sorbonne au XXe siècle : de l’ancienne Université de Paris aux 13 universités parisiennes

acade_nord_jpgLa première moitié du XXe siècle fut pour la Sorbonne une période de renouveau particulièrement brillante. Ses chercheurs et ses enseignants furent à la pointe des grands développements scientifiques dans de multiples domaines : en histoire avec l’école des Annales, en lettres avec le développement des sciences du langage et de la littérature comparée, en sciences avec les premières recherches en physique nucléaire. La renommée et le prestige international de la Sorbonne se cristallisèrent dans plusieurs prix Nobel (Pierre et Marie Curie, Jean Perrin, Louis de Broglie, Irène et Fréderic Joliot-Curie). Paradoxalement, l’université ne changea guère dans ses locaux, ni dans ses structures administratives ou pédagogiques.

Si le premier conflit mondial entraîna parmi les étudiants une hécatombe dont le monument aux morts, placé dans le hall de la bibliothèque, donne la mesure, il toucha peu un corps enseignant dont la moyenne d’âge lui permit souvent d’échapper à la mobilisation.

Après un effondrement pendant la guerre, les effectifs recommencèrent à croître durant l’entre-deux-guerres. Ils doublèrent entre 1921 et 1926, puis triplèrent dans les années 1930, atteignant à leur apogée 14 500 inscrits. Ce public, pour les deux tiers littéraire, se féminisa (41 %) et comprit de plus en plus d’étrangers (30 %), dont le séjour était désormais facilité par l’ouverture de la Cité Internationale Universitaire de Paris en 1925 (14e arrondissement).

La Seconde Guerre mondiale provoqua un traumatisme durable. Les lois d’exclusion, promulguées par le régime de Vichy, frappèrent les étudiants et les enseignants juifs. Plusieurs professeurs périrent tragiquement, déportés ou fusillés : ce fut le cas de Marc Bloch, Georges Ascoli, Victor Basch et Louis Halbwachs en lettres, mais aussi des physiciens Henri Abraham, Eugène Bloch et Georges Bruhar.

La croissance reprit néanmoins dès le lendemain de la guerre. Au cours des « Trente Glorieuses », le nombre d’étudiants s’accrut brutalement pour atteindre 61 400 en 1965. Ce succès eut toutefois son revers: dès la fin des années 1950, les effectifs de la Sorbonne avaient atteint dix fois ceux que ses constructeurs avaient prévus un siècle plus tôt. La démocratisation de l’enseignement supérieur, qui permettait l’afflux de jeunes de milieux plus modestes, rendit de plus en plus obsolètes des structures d’enseignement et d’accueil qu’il fallait désormais adapter aux exigences nouvelles de la massification.

Ces divers éléments constituèrent le terreau de la contestation étudiante de la fin des années 1960. Depuis le XIXe siècle, la Sorbonne, et notamment la Faculté des lettres, n’avait jamais cessé d’être un lieu privilégié de politisation des étudiants : le boulangisme, l’affaire Dreyfus, la guerre d’Algérie, autant d’événements qui permirent à des générations de sorbonnards de forger leur engagement et contribuèrent au développement d’un milieu associatif fort en milieu étudiant.

Pourtant, les événements de mai 1968 ne commencèrent pas en Sorbonne, mais dans l’une des nouvelles facultés qui venaient d’être construites précisément pour faire face au boom des études supérieures : la faculté de Nanterre. Lorsque la contestation gagna le Quartier latin, la Sorbonne fut occupée à son tour plusieurs fois au cours du mois de mai et devint rapidement un symbole international de la contestation étudiante, jusqu’à son évacuation définitive entre les 14 et 16 juin.

Le processus de réforme qui se mit en place au lendemain du mouvement entraîna l’éclatement de l’Université de Paris en neuf – puis plus tard treize – universités. Sous l’impulsion du ministre de l’Education nationale, Edgar Faure, la loi d’orientation de l’enseignement supérieur du 12 novembre 1968 accordait aux nouvelles universités une autonomie limitée : les nouveaux établissements seraient désormais dirigés par un président, professeur élu par un conseil d’administration.

La loi réservait toutefois l’administration de l’ensemble du patrimoine et des biens indivis de l’ancienne Université de Paris à un établissement public placé sous l’autorité du Recteur d’académie, doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière : la Chancellerie des Universités. Créée en 1971, celle-ci est également propriétaire de la Cité Internationale Universitaire de Paris, boulevard Jourdan, et de la bibliothèque littéraire Jacques-Doucet, place du Panthéon. A la fois héritière d’un patrimoine (notamment celui de la famille de Richelieu) et d’une tradition d’excellence qu’elle récompense chaque année par ses prix et ses bourses, la Chancellerie des Universités est aujourd’hui le garant du prestige universitaire qui a forgé depuis des siècles la renommée de la Sorbonne.

C’est sur cette tradition bientôt millénaire que s’appuient de grandes universités et de prestigieuses écoles pour faire de la Sorbonne l’un des principaux foyers de créativité scientifique et de renouveau intellectuel du XXIe siècle.

Un temple de savoir

02_sorbonne3Le bâtiment actuel de la Sorbonne a été construit entre 1885 et 1901 sous l’impulsion de Jules Ferry, Ministre de l’Instruction publique, et la supervision permanente d’Octave Gréard, vice-recteur de l’Académie de Paris de 1879 à 1902. Il est l’œuvre de l’architecte Henri-Paul Nénot qui a su faire de cette construction complexe à l’inspiration éclectique, avec des façades néo-Renaissance, des péristyles à l’antique et une cour classique, un ensemble homogène. Décoré de plaques portant les noms de toutes les académies de France et d’écussons aux armes des villes possédant à l’époque un lycée, il constitue un véritable temple du savoir édifié à la gloire du nouveau système d’enseignement national.

Au Nord se trouve le palais académique. Cette partie du bâtiment, qui abrite depuis le XIXe siècle le rectorat de l’Académie de Paris, a été construite la première. Achevée en 1889 pour le centenaire de la Révolution française, elle constitue un ensemble de prestige, avec ses marbres, son escalier d’honneur, ses salons d’apparat, son grand amphithéâtre de 1 700 places à l’origine, somptueusement décoré de statues de Barias, de Dalou et surtout de la fresque de Puvis de Chavannes, Le Bois sacré, qui représente une vierge laïque incarnant la Sorbonne autour de laquelle se pressent les figures allégoriques de l’Éloquence, des Sciences, de la Philosophie et de l’Histoire.
un temple de savoir

De là partent vers le Sud deux galeries monumentales décorées, elles aussi, de fresques évocatrices, menant l’une vers ce qui était la Faculté des Sciences, l’autre vers ce qui était celle des Lettres.

Ce n’est que dans les années 1890 que les constructions datant de Richelieu ont cédé la place à de nouveaux bâtiments construits autour d’une Cour d’honneur redessinée, donnant sur la chapelle, seul témoin conservé de l’ancienne Sorbonne.

Dans le quadrilatère désormais entièrement rempli se trouvent une vaste bibliothèque de 300 places ; une somptueuse Salle des Doctorats qui porte le nom du Directeur de l’enseignement supérieur de Jules Ferry au moment de la construction, et plus tard vice-recteur, Louis Liard ; enfin, toute une batterie d’amphithéâtres au décor illustrant leur destination, comme pour ceux d’archéologie, de géologie, le plus vaste de tous étant dédié au cardinal de Richelieu, bienfaiteur de l’université au XVIIe siècle et dont le tombeau se trouve dans la chapelle voisine.