La fonction de recteur d’académie

fonction_Recteur_web

La fonction de recteur d’académie est riche d’une longue histoire : née sous le Premier Empire, on fêtait en 2008 son bicentenaire. Depuis cette date, la fonction a encore évolué ; les conditions de nomination et les attributions du recteur d’académie ont été sensiblement modifiées, notamment par deux décrets pris en 2010 et en 2012. Patrick Gérard, Conseiller d’État, ancien recteur de l’académie de Paris, professeur associé à l’Université Paris-Descartes, revient sur « ce métier si original dans la haute fonction publique » dans « Le Recteur et son académie », article publié au sein de « L’art, la gestion et l’État. Voyage au cœur de l’action », ouvrage collectif paru en l’honneur de Pierre Grégory et coordonné par Mathilde Gollety, Éditions Eska, Paris, 2013. En voici un extrait, suivi de l’article complet en téléchargement.

« Bonaparte, après avoir centralisé l’administration du territoire de la République autour des préfets de département par la loi du 28 pluviôse an VIII, entreprit, en deux étapes, de contrôler la formation des futurs cadres de la Nation. D’abord le Premier Consul instaura en 1802 les lycées, en y imposant un cadre de vie qui « prépare à la discipline sociale et nationale, comme à la discipline militaire » (Jean-Jacques Chevallier, Histoire des institutions et des régimes politiques de 1789 à nos jours, Dalloz, 1972, p. 142). Puis l’empereur, par la loi du 10 mai 1806, confia le monopole de l’instruction pour tous les niveaux d’enseignement à une administration particulière, l’« Université impériale » dirigée par un « Grand-Maître » ; le décret du 17 mars 1808 opéra une division du territoire propre à l’Université impériale en créant des « académies » : « chaque académie sera gouvernée par un recteur, sous les ordres immédiats du Grand-Maître » (article 94 du décret impérial portant organisation de l’Université du 17 mars 1808).

La dénomination de recteur reprenait celle qui désignait, au Moyen-Âge, à Bologne et à Paris, le dirigeant élu pour quelques mois par les maîtres de la faculté des Arts. (Le recteur, élu, se distinguait du chancelier nommé par le Pape qu’il représentait auprès de l’université.) À Paris, Montpellier ou Toulouse, le recteur des Arts s’était peu à peu imposé comme le représentant de toute l’Université ; son rôle essentiel consistait à défendre les « privilèges de l’université : exemption d’impôts et de certaines taxes locales, de toute forme de guet ou autre service militaire et surtout exemption de toute juridiction laïque » (Michel Rouche, Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, Nouvelle librairie de France, 1981, tome 1, p. 364). Sous la monarchie des Bourbons, le recteur de l’université de Paris était devenu l’un des personnages les plus importants du royaume : dans les cérémonies publiques, il prenait rang, aux côtés de l’archevêque de Paris, juste après les princes de sang. Le recteur était le garant de la liberté de l’université, établie alors comme une corporation indépendante de maîtres et d’élèves, n’hésitant pas à donner son point de vue sur les affaires du royaume. Pendant la Révolution, la Convention dénonça les privilèges de telles institutions et, par un décret du 15 septembre 1793, supprima les universités « sur toute la surface de la République ».

Le recteur qui réapparaît en 1808 a une fonction bien différente de celle du recteur de l’Ancien Régime : il n’est pas le représentant d’une communauté libre mais un instrument de gouvernement ; il est positionné au sein d’une « puissante hiérarchie de rouages » (Jean-Jacques Chevallier, Histoire des institutions et des régimes politiques de 1789 à nos jours, Dalloz, 1972, p. 142), à la tête de laquelle est placé le Grand-Maître de l’Université impériale ; il est chargé de l’administration de tous les établissements scolaires et facultés de son académie. Napoléon 1er décrète que les recteurs porteront, dans l’exercice de leurs fonctions et dans les cérémonies publiques, un costume ainsi composé : « simarre de soie violette, glands de soie à la ceinture, chausse violette herminée de huit centimètres, un seul galon à la toque, cravate de batiste, palmes en argent » (décret impérial concernant les costumes des membres de l’Université signé à Schönbrunn le 31 juillet 1809, article 6). À l’évidence, l’empereur a le dessein de faire encadrer l’enseignement par « une véritable congrégation laïque » (André Tuillier, Huit siècles d’université à Paris, Nouvelle librairie de France, 1995, p.90).

Napoléon III parachève l’œuvre de son oncle. Alors que la loi « Falloux » du 15 mars 1850 avait établi, pour gérer l’université de France, quatre-vingt-six académies départementales confiées à des recteurs inféodés à la fois à l’évêque et au préfet, le ministre de l’instruction publique Fortoul réduit à dix-sept le nombre des académies et va attentivement choisir leurs chefs : « Chacune des académies est administrée par un recteur » (cette disposition est toujours en vigueur : article L. 222-1, alinéa 2 du code de l’éducation), énonce l’article 2 de la loi sur l’instruction publique du 14 juin 1854. La volonté de l’empereur, affirme alors le député Langlais, rapporteur du projet devant le Corps législatif, est de « diminuer sensiblement l’influence de l’Église », de « fortifier le gouvernement de l’enseignement de l’État » en en donnant la direction à « un grand corps composé d’hommes voués à une carrière spéciale et ayant un avenir assuré, contenu par une forte discipline, vivant de sa vie propre, ayant ses mœurs et son esprit particulier, mais émané de l’État et en dépendant » (Lois et décrets, Empire français-Napoléon III, 31 mai-14 juin 1854, p. 322). Le recteur s’installe définitivement dans le paysage administratif français ; respecté par l’élite intellectuelle, il porte même, sous le Second Empire et au début de la Troisième République – comme encore en Italie –, l’épithète de « magnifique ».

Au XXIe siècle, le recteur d’académie doit servir une République proclamant dans ses textes constitutionnels que « l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État » (Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946) et consacrant par son budget plus de la totalité du produit de l’impôt sur le revenu à l’éducation nationale. Il occupe une position originale dans l’administration déconcentrée de l’État. En effet, pour mettre en œuvre leur politique, les ministres chargés de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur exercent leur autorité sur leurs services déconcentrés d’une manière très différente de celle de leurs collègues, qui donnent leurs instructions aux préfets. Ces ministres disposent en effet de hauts fonctionnaires, facilement connus d’eux, mensuellement réunis par eux et pleinement responsables devant eux : les trente recteurs d’académie. Pour accomplir sa mission, le recteur est doté d’une autorité légitime ; il est chargé d’un territoire spécifique ; il est placé à la tête d’une administration autonome. »

Certaines notes de bas de pages n’ont pas été reproduites dans cet extrait. Elles sont toutes visibles dans la version téléchargeable complète de l’article :

Le recteur et son académie

Le Vice-Recteur Louis Liard accueille, en 1903, le directeur de l’École normale supérieure Ernest Lavisse – Détail de L’accueil de l’École normale supérieure, tableau d’André Dewambez sis dans la Salle des Actes en Sorbonne.

Le Vice-Recteur Louis Liard accueille, en 1903, le directeur de l’École normale supérieure Ernest Lavisse – Détail de L’accueil de l’École normale supérieure, tableau d’André Dewambez sis dans la Salle des Actes en Sorbonne.

  • Partager
  • Icon Facebook
  • Icon Twitter
  • Icon Linked In
  • Icon Google